Alain Joxe, collègue professionnel et politique de longue date (EHESS et PSU).
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L’intervention orale faite au cours de la célébration d’adieu du 24 juillet 2010 s’écartait quelque peu du texte transcrit ci-dessous.
Je suis en deuil d’un ami, d’un camarade, d’un frère. Pourquoi pas ? C’est la saison d’un renouveau des principes moraux en matière de recherche et de politique. Et voilà que disparaît Jean-Paul Hébert, homme de conviction et chercheur de l’économie de la défense. On ne pardonnera plus très longtemps aux experts d’être sans morale. Plus la recherche est électronique plus il faut en injecter la passion du vrai et du bien public. Donc encore un ancien camarade du PSU qui disparaît en plein travail et qui n’a jamais cessé de tenir son contrat, contre vents et marées. Petit parti momentané qui a sauvé l’honneur de la gauche naguère et au temps des guerres coloniales, le PSU est encore aujourd’hui une butte témoin et une pépinière de la solidité des convictions dans une utopie sociale encore à venir.
Travail de fourmi, ou d’observateur ayant la manie du détail ? Jean-Paul Hébert était le spécialiste au CIRPES, à l’EHESS, de « l’économie d’armement », c’est à dire des marchands de canons, de leur pouvoir et de leurs capitaux, crédits et profits ; et de relever tous les ans toutes les données concernant l’industrie d’armement nationale et mondiale ; d’en faire un bilan critique, de déceler les dépenses inutiles, les avions sans usage, les tromperies financières, les stratégies crapuleuses déguisées en modernisation talentueuse, parfois inutilisables par des soldats du rang et des officiers du terrain mais destinées moins à la guerre qu’à la survie des lobbies surpuissants. Cette branche doit être observée et interprétée, en démocratie, par préoccupation politique. JPH le faisait jour après jour. On est en droit de tout savoir des données publiées ou camouflées dans les chiffres officiels et cette curiosité l’animait. JPH était sérieux totalement respecté dans ses analyses sans compromis ; mais en plus il était engagé dans la lutte pour le droits de l’Homme et en faveur de la paix, contre les accumulations de crimes que permettent les arsenaux modernes. Spécialiste du matériel tandis que d’autres (moi peut être ?) paraissent voués à l’intelligence du logiciel qu’on appelle « stratégie », « tactique », doctrine d’engagement des forces, entrainement. Dans la modernité électronique, bien malin qui saura tracer la frontière entre logiciel et matériel. Il faut pour ce faire consentir à introduire des discriminants éthiques et peut être même légiférer par la Loi. Une variante plus moderne de « tu ne tueras pas ».
On devra un jour montrer par la présence du matériel dans les arsenaux la montée des projets de génocides par manipulations et paramilitarismes interposés, ou par afflux d’armes dans les zones de troubles ; de projets d’assassinats ciblés grâce aux déploiements de drones pour apaiser les troubles sociaux. Une version policière de la guerre sans autre but que la répression par la destruction des adversaires considérés comme délinquants, transforme, depuis quelque temps déjà les analyses des déploiements de nouveaux arsenaux en une enquête de présomptions de préméditation de crimes contre l’humanité.
Telle est une partie du chantier que JPH doit quitter en pleine course. Mais il a ouvert des pistes et des perspectives très importantes pour l’avenir de la prévention des guerres, que d’autres sauront prolonger.
Comme c’était aussi un navigateur descendant des Vikings je pense qu’il nous observe du haut de l’océan céleste, en gardant le cap, serrant au plus près à contre vent et parlant aux mouettes qui annoncent la proximité d’une terre promise plus pacifique et plus fraternelle. Je pense à Élisabeth, sa compagne et à ses trois fils, leurs compagnes et petits enfants qui sauront relever le défi. Il sera enterré lundi 26 juillet à Fécamp, lieu qu’il aimait tant.
Alain Joxe