Jacques Fontanel, Professeur de sciences économiques à l'Université de Grenoble II, directeur de thèse de JPH, est co-auteur avec lui de plusieurs travaux de recherche.
Texte écrit pour les obsèques de Jean-Paul.
Salut à toute la famille de Jean-Paul,
Finalement, nos vies ne nous appartiennent jamais. Je suis si attristé par la disparition de Jean-Paul, un type inoubliable, sympa, curieux, drôle, taquin, toujours à la recherche de la convivialité et de l’amitié, attiré par les choses simples de la vie, notamment à Rouen, près de sa famille.
Il aimait la simplicité, mais sa vie n’a pourtant pas manqué de relief et de complexité. Si je n’ai connu de lui que quelques bribes du temps, hors desquels nous étions l’un pour l’autre dans la méconnaissance de nos vies, le respect jamais démenti de nos rapports philosophiques me laisse à penser qu’il était toujours un homme « authentique », vrai, suivant un chemin bordé par ses seules convictions, aussi libéral dans sa perception quotidienne de la vie (notamment familiale et amicale) qu’opposé à une pensée libérale qu’il jugeait inégalitaire, injuste et violente. Comme tous les hommes de conviction, il suivait ses objectifs de manière obstinée, ce qui, pour le commun des mortels, devrait inscrire sa vie dans l’ordre des existences complexes, dont l’utilité est certaine.
Auteur d’ouvrages et professeur d’économie avant d’être docteur, écrivain pour enfants mais aussi pour adultes à la recherche de leur enfance, chanteur à l’occasion, militant politique acharné dans des partis groupusculaires (habitude qu’il avait prise depuis son adhésion au PSU), condamnant aussi bien la droite profiteuse et exploiteuse que les stal (pour staliniens, bien sûr) intolérants et dictatoriaux, hésitant longtemps entre une vie d’engagement sans réels revenus professionnels et une profession scientifique qui n’allait pas manquer d’engagements argumentés, soucieux du collectif avec un look d’anar, travailleur parisien habitant Rouen, Jean-Paul trouvait son parcours normal, en tout cas fidèle à sa ligne de conduite. Il ne regrettait rien sur le fond, même si parfois il s’interrogeait sur la modestie probable de sa retraite. Pour une fois que la société aurait pu lui rendre ce qu’il lui avait tant donné, il s’est éclipsé, à son corps défendant (mais si mal).
Il est devenu, chemin faisant, notamment à partir des années 1990, le chercheur le plus réputé et certainement le plus compétent en France sur les questions de l’économie de l’armement. Sa thèse, remarquable, a souvent été citée dans les meilleurs articles des meilleures revues. On aurait pu penser qu’il maîtrisait le sujet et, compte tenu de ses connaissances, pouvait se permettre de présenter un thème sans inquiétude. Pourtant, avant toutes ses conférences, il était inquiet concernant la qualité de sa prestation. Lui qui semblait si décontracté, peu émotif à l’idée de rencontrer les grands de ce monde ou les mondains, avait toujours un "trac" fou devant un auditoire de scientifiques ou d’étudiants. Il aspirait à la perfection dans le discours, il cherchait à convaincre, à témoigner de la justesse de ses interprétations, en faisant appel à de multiples détails dont il faisait "in fine" une thèse. J’ai eu l’honneur d’être son Directeur de thèse. Nous n’avions ni les mêmes méthodes, ni les mêmes angles de vue d’un problème. Pourtant notre entente fut excellente, même s’il nous a fallu l’un l’autre faire un effort pour nous rejoindre. Il était déjà si mûr quand il a commencé sa thèse, que mes observations sur son contenu ne manquaient pas de m’obliger à une réflexion personnelle sur l’objet et l’intérêt de ce « chef d’œuvre » scientifique. Les Félicitations du jury qu’il a obtenu ont été confirmées par le Comité National des Universités où son dossier a obtenu deux notes maximales de ses rapporteurs et l’unanimité du jury.
Jean-Paul était indulgent pour les faibles, intraitable avec les forts, libre dans ses pensées, prêt à "ferrailler" sur les idées essentielles qui ont conduit sa vie, négligeant parfois ses propres intérêts pour défendre des idées que les commanditaires ou les puissants combattaient. Il était aussi très travailleur, toujours disponible, parfois râleur (sans toujours savoir, en ce qui me concerne, si c’était un jeu d’acteur ou une réelle disposition d’esprit), jouant souvent un rôle de séducteur en toute loyauté, toujours agréable et très présent, plein d’anecdotes et de truculence. Entre nous, la "mise en boîte" était de rigueur, en toute décontraction, amitié et rigolades comprises.
Il a emmené avec lui Hector Hugo, le père du Phoque, ce fils auquel il ressemblait finalement beaucoup. Il était aussi un dinosaure que seul un Cancer venu de l’horoscope aura pu terrasser, mais je ne pense pas qu’il sera facile, sur ce thème, d’écrire un dernier chapitre de cet ouvrage si créatif. Avec Omar et Juliette, nous avons vraiment beaucoup de peine, car un type comme lui nous donnait toujours confiance dans la survie des « mecs bien », de ces types disponibles pour la société, jamais avare d’un bon conseil et toujours à l’écoute des autres. Nous ne danserons plus la Lambada, notamment celle qui conduit à l’enfer, sans penser à lui. Dans notre vie quotidienne grenobloise, nous ne le rencontrions pas souvent, mais nous savions qu’il existait, et c’était déjà beaucoup pour le développement des attitudes optimistes. Jean-Paul était un intellectuel minutieux (trop ?), un homme de coeur, un ami des grands soirs.
Ceux qui ont connu Jean-Paul Hébert en garderont un souvenir profondément amical. Il va laisser un grand vide dans sa famille, mais il a su l’armer, par son comportement et son exemple, à dépasser cette situation inéluctable. C’était un père attentionné et admiratif, il a soutenu ses fils dans leurs combats militants (n’est-ce pas Pierre ?) dans la maladie (n’est-ce pas Benoit ?), dans leur désir d’ailleurs et d’épanouissement personnel (n’est-ce pas Pascal ?). C’était un mari très amoureux de sa femme, dont il ne pensait que du bien, aussi bien sur le plan sentimental (cela va sans dire), mais aussi sur les plans intellectuels (quelle fierté les livres écrits par elle), moraux (la gardienne de l’éducation des enfants vers des idées que nous qualifierons, sans doute à tort, de socialisme écologique) et financiers.
Il y a trois ou quatre mois, venant à Grenoble, il m’a exprimé sa crainte d’avoir un cancer. Il m’a dit, celui-ci, s’il est avéré, aura un adversaire qui lui donnera du fil à retordre. Il ne savait pas que l’ennemi avait déjà bien avancé son œuvre maléfique et que les piliers de sa vie avaient été sapés à son insu. Mais, comme à son habitude, il s’est bien battu. Certains de nos ami(e)s le comparaient à Brassens, une autre à Ferrat. Lui, lui qui était le plus fier, lui, il se prenait pour lui, comme le disait Jacques Brel. Et c’et tant mieux, surtout qu’il aura su, lui aussi, faire « suer le burnou à plus d’un bourgeois ».
On emportera son souvenir dans notre propre tombe, car, qu’il en soit assuré, nous ne l’oublierons pas, jusqu’à ce que nous-mêmes le rejoindrons dans cette terre, cette énergie, ce temps, cette lumière que nos scientifiques affirment équivalents.
Il nous reste, pour tous ceux qui l’ont côtoyé, quelque chose de Jean-Paul qui jamais ne nous quittera.
Jacques Fontanel